« Nous ça va, mais avec ce qu’on voit à la télé ! »

Cinq ans après Sarkophonie, où elle incarnait un hybride réussi de Sarkozy et d’un chef de junte militaire en déclamant un discours fourmillant de jeux de mots et d’à-peu-près, revoici la clown Rafaële Arditi dans une entreprise prétentieuse et à côté de la plaque. Les références sont hautes, Coluche et Bourdieu, qu’elle renomme Dieu, dont elle lit une lettre imaginaire, comme un ordre de mission à poursuivre son travail critique sur la télévision – laquelle voile en prétendant dévoiler – et qui a été continué notamment par le site Acrimed, Serge Halimi dans les Nouveaux Chiens de garde et le Monde Diplomatique et Pierre Carles avec son célèbre Pas vu, pas pris. Rafaële Arditti, quant à elle, se contente d’imaginer une lettre fictive que lui aurait adressée Bourdieu, dans un rare passage réussi où elle enchaîne lapsus et dérapages verbaux, avant de jouer une série de longues séquences reproduisant textuellement, sans invention ni modification de sa part, des extraits d’émissions télé qui l’ont marquée par leur inanité.

Quels extraits ? Le direct de l’élection de Hollande en 2012 avec des envoyés spéciaux qui n’ont rien à dire, les présentateur du plateau de France 2 durant l’élection de Sarkozy en 2007, les trois parties de l’émission Salut les Terriens, dont elle imite extrêmement mal l’animateur, Thierry Ardisson, tout comme ses invités qu’elle tente de ridiculiser sans y parvenir, Nicolas Bedos, Oceanerosemarie, Frédéric Bonnaud et Marine Le Pen à qui elle prête une voix à la Deneuve, ainsi qu’une séquence d’On n’est pas couché où Ruquier et Naulleau renvoient bêtement la journaliste Erika Moulet à sa plastique étonnante. Ce faisant, elle demande au public des applaudissements et des rires automatiques qu’elle n’arrive pas à déclencher elle-même. On finit par se demander ce qu’apportent ces extraits reproduits tels quels, parfois pas même incarnés, comme cette séquence derrière le rideau où Olivier Mazerolle interviewe Eva Joly. Certes, il s’agit de montrer la médiocrité – sans doute réelle – de certains journalistes. Mais pour qu’on adhère à une telle critique, encore faudrait-il déployer un talent qui fait défaut à ce spectacle poussif.

Nez rouge et cheveux ébouriffés, la clown change de perruque et passe d’un coin de la scène à l’autre pour signifier le début d’une nouvelle séquence. Il y a aussi ce déguisement extraterrestre façon Soupe aux Choux pour évoquer, en 1991, l’opération Tempête du désert durant la première guerre du Golfe par Michel Chevalet. On est loin de la critique de Bourdieu dans ce jeu sans précision. Dans le genre subversion scénique et critique des médias, on préfère Manuel Pratt.

Il y a un coté amateur dans ce spectacle qui s’étire en longueur, chaque séquence étant reproduite au ralenti, sans rythme. Y compris lorsque la clown Rafa retranscrit des scènes vécues dans sa propre famille, lorsque son grand-père a été poussé à voter Sarko par les JT qui repassaient en boucle l’agression d’un septuagénaire dans un quartier populaire d’Orléans. Oui, les médias nous influencent, mais pourquoi la comédienne ne le montre-t-elle pas en composant son propre texte ou en incarnant avec plus de rigueur ces protagonistes qu’elle exècre ? Un montage resserré des séquences en question, sans pesante mise en scène, aurait été d’une charge autrement efficace…

Manque de charisme, absence de rythme, difficulté à incarner des personnages crédibles, enchaînements peu fluides, montage sonore et vidéo qui arrive parfois à contre-temps : on peine trouver des qualités à cette création, à l’inverse de la précédente, bien mieux canalisée. Le regard extérieur de Sylvie Gravagna, qui enseigne le « mouvement sensorial » (sic), n’aura sans doute pas suffi à lui conférer une forme aboutie. Un seul souhait : que le prochain spectacle de Rafaëlle Arditti soit meilleur que celui-ci.

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