Vincent Roca – Vite, rien ne presse !

Avec ses onze années de chroniques sur France Inter, Vincent Roca est aujourd’hui le plus connu des héritiers de Raymond Devos. Après Mots et usages de mots, un seul en scène théâtral, dramatique et laborieux, l’humoriste retrouve ici sa technique, dans un foisonnement lexical qui défile plus vite que la pensée. Voici une heure dix consacrée au temps qui file, ce thème déjà traité par Gauthier Fourcade, autre illustre jongleur de mots. Dans notre société pressée et productiviste, Roca s’arrête pour considérer le monde, écouter le temps qui résonne comme ces gouttes tombant du plafond dans des seaux. Souvent statique, occupant l’un ou l’autre endroit de la scène divisée en trois, le comédien enchaîne les exercices de style.

Ceux-ci sont de plusieurs sortes. D’abord le « calembour filé » dans lequel, à l’aide d’une suite de mots équivoques, l’humoriste fait entendre un sens évident, dénoté, et un sens suggéré, connoté, renvoyant toujours au même thème. Ensuite, les parodies de textes connus, comme ces « Notre père » réécrits avec une série d’à-peu-près*, où les références chrétiennes sont par exemple remplacées par des termes médicaux : « Notre kiné qui êtes osseux… » Roca s’amuse aussi à rapprocher des mots phonétiquement proches mais de sens opposé, comme ces couples d’homophones ou de paronymes sur le thème de la vie et la mort : « tu nais dans les choux / tu finis dans les choux » ; « en cloque / clac » ; « corps braillard / corbillard » ; « gili-gili / gla-gla », « CDD / décédé », couronné par un jeu de mots sur « champagne / bière » ; ou ces vrai ou faux (« vrai travesti ou transfo ? ») D’autres passages sont davantage tirés par les cheveux, comme cette séquence où il dit aimer « les hommes qui ne la ramènent pas… leur femme ! », ou ce récit d’une rencontre à « cul ouvert » où il inverse les mots cul et cœur. Enfin, il arrive que Vincent Roca déroule simplement des calembours plaqués sur son propos, sans créer de double-sens ou de jeu sur le contexte.

Les séquences les plus recherchées sont peut-être les plus réussies, à l’image de ce monologue au subjonctif imparfait et au passé simple : « auriez-vous pensé que les décolorées rouspétassent ? », « sous la couette nous nous plûmes », « face au cancer nous protestâtes »… Autre nouveauté, ce slam scandant l’itinéraire d’un clandestin, où le comédien se pose timidement mais sans contretemps sur une rythmique tribale. En revanche, sa chanson « La glossolalie » n’a d’autre but que de faire un inventaire de langues un peu fastidieux.

Bref, avec une extraordinaire quantité de jeux de mots plus ou moins nécessaires, Vincent Roca évoque tout ce qui se passe « entre le début et le défunt ». S’il verse parfois dans le paradoxe facile (« bien mourir et n’emmerder personne plutôt que bien vivre et faire chier le monde »), il gagne à filer un même thème, de façon allégorique au besoin, quand il regarde passer une minute claquant des talons. Le metteur en scène Gil Galliot avait fort à faire pour assembler en un show cohérent et vivant ces chroniques éparses. Mais ça fonctionne, même si la spontanéité de Vincent Roca est parfois menacée par un esprit de système, celui du jeu de mots.

*Dire un mot pour un autre, comme le « savant de Marseille » de Coluche.

 

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