Artaud Passion de Patrice Trigano, monté par Agnès Bourgeois

Le titre sonne comme un lieu commun. Il traduit la passion de l’auteur de la pièce, le galeriste Patrice Trigano, pour Antonin Artaud qu’il a découvert à 20 ans. En 2010, il lui consacre un livre et rencontre Florence Loeb, fille d’un autre célèbre galeriste, qui fut l’intime d’Artaud dans les deux dernières années de sa vie. C’est son témoignage qui a déterminé l’écriture de ce texte : celui d’une fille de 17 ans qui tombe en amour et en révérence pour un poète ravagé, de retour de l’asile de Rodez en 1946.

Ce livre, tissé d’allers et retours temporels assez confus, fait alterner la voix d’Artaud et le regard extérieur, un peu midinette, de cette jeune femme qui semble avoir trouvé un second père. En dehors de ce point de vue assez anecdotique, le texte de Patrice Trigano apporte peu de choses à la compréhension d’Artaud, tout en demeurant difficile d’accès pour les profanes.

Le dispositif scénique est assez convenu, avec deux acteurs et deux musiciens sur fond de son saturé et lumières oscillantes cherchant à reproduire le bruit et la fureur qui entourèrent cette comète du surréalisme. A côté de Jean-Luc Debattice, tremblant et extatique, Agnès Bougeois joue les acrobates en tournant autour d’un cercle de lumière. Elle incarne aussi bien la jeune Florence Loeb que la vieille dame à la voix tremblante qu’elle est devenue, en tentant de recréer une articulation édentée. Les expérimentations sonores de Fred Costa et Frédéric Minière ont beau être réussies, sont-elles indispensables ?

A un moment, Debattice fait dire au poète que la mise en scène doit précéder ou coïncider avec l’écriture de la pièce, soit la manière dont procèdent aujourd’hui Wajdi Mouawad ou Joël Pommerat. Ici c’est l’inverse. Voici l’adaptation, à posteriori, d’un livre de circonstances dans une forme refermée sur elle-même. Le poète imaginait un théâtre de la cruauté incarné et vif à l’image du théâtre balinais, loin de ce qui apparaît ici comme une mise en scène intellectualisée, malgré les vibrations électriques du live. Dans le genre de la performance poético-musicale, La chose commune était mieux réussie, ou D comme Deleuze pour l’audace scénique.

Artaud, qui fut acteur, directeur de théâtre et metteur en scène, Artaud qui tenait la permanence du bureau de recherches surréalistes en lançant des slogans, Artaud le poète avant-gardiste de l’Ombilic des Limbes, le pamphlétaire extatique de Van Gogh le suicidé de la société, Artaud parti au Mexique où il rencontra les Indiens Tarahumaras qui l’initient au Peyotl, Artaud interné à son retour en 1937, et qui écrivit, au bout de neuf ans de claustration, ses Cahiers de Rodez, avant d’être libéré et de faire une conférence au théâtre du Vieux Colombier, Artaud dont on connaît les élucubrations radiophoniques sur le caca, Artaud incandescent et fou s’incarne ici dans le corps et la voix de Jean Luc Debbatice, qui a jadis créé des performances de poètes beatniks. Il fait littéralement vibrer la voix du poète. On aurait préféré le voir seul en scène, sans artifice, faute de pouvoir créer une forme vraiment avant-gardiste…

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