Conférence en forme de poire. Erik Satie vs Wall Street.

Olivier Salon, en plus d’être mathématicien et membre de l’Oulipo, est aussi comédien. S’il se montre avec ses acolytes lors de lectures mensuelles, les jeudis de l’oulipo à la BNF, on ne l’avait jamais vu au théâtre. Le voici accompagné sur scène par Martin Granger, comédien, chanteur et créateur de dispositifs génératifs, dans une pièce qu’ils ont co-écrite mise en scène par Benoît Richter. Le prétexte est bien trouvé : un pianiste animant une conférence sur Erik Satie est subitement interrompu par un jeune manager qui doit parler, au même endroit au même moment, de la compression audio dans un topo aux résonances managériales. Accoutrement, vocabulaire, démarche intéressée ou non… Tout oppose l’esthète maniéré à l’entrepreneur jargonnant façon Bill Gates, dont l’obsession est de tout réduire pour faire gagner du temps à l’homme moderne. Il comprime, synthétise, réduit le temps, les notes, les mots, jusqu’aux applaudissements condensés en un unique impact collectif.

Salon joue au piano les célèbres Gymnopédies, un hellénisme pédant cher à Satie, puis entame une conférence qui révèle des textes méconnus de ce dandy génial qui a passé sa vie dans une chambre de Montmartre puis un studio à Arcueil. Avec un art oratoire pointu et décalé, le comédien souligne les coïncidences entre Satie et Alphonse Allais nés dans la même ville, ce dernier né la même année que Rimbaud… Mais aucun rapport, finalement, entre Satie et Rimbaud ! Alors qu’il cherche un papier égaré en coulisses, un agent de la société Process Optimisation Performance (au logo de poire croquée) saute sur scène et entame une présentation Powerpoint sur fond de musique martiale. Il retrace avec un vocable ultra technique l’histoire de l’enregistrement depuis le microsillon jusqu’au mp3 en passant par la K7 audio… Son but : comprimer la musique à outrance, vu qu’on n’aura jamais assez de temps pour écouter tous les sons stockés sur nos disques durs. Avec sa machine SRX4000 qui ressemble à un lave-vaisselle, il réduit les partitions de Satie et en supprime les mesures redondantes (celles qui se répètent), 43 sur 78 dans les Gymnopédies, et demande au pianiste d’interpréter cette version étrécie. Même technique pour ôter d’un texte les mots superflus, sa machine avale la Conférence de Satie sur les animaux qui en ressort allégée – et absolument dénaturée.

Au fond, le conférencier et le technicien parlent le même langage, celui de la contrainte oulipienne – que le second adapte au marché. Ainsi ce passage où ils entament un dialogue monosyllabique, avant de poursuivre avec des mots longs et complexes. Le conférencier enchaîne avec aisance les a-peu-près, une technique humoristique classique, s’emmêle les pinceaux quand l’autre bricole à côté, bafouille « Arrête ta scie » pour Erik Satie…

Découverte de textes méconnus de Satie, mise en œuvre de contraintes ludiques par des acteurs précis et pince-sans-rire, réflexion sur une époque où la productivité poussée à ses limites vire à l’absurde : on est embarqué dans cette pièce intelligence et vive, pensée dans ses moindres détails.

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