Céline. Derniers entretiens, avec Stanislas de la Tousche

Si Louis-Ferdinand Céline est un des plus grands auteurs du 20e siècle, par ailleurs connu comme un antisémite notoire, c’est parce qu’il a réussi à transposer le langage parlé à l’écrit, ce qu’avait en partie initié Ramuz et, dans un autre registre, Aragon. Les amateurs de Céline connaissent les entretiens radiophoniques ou télévisuels de l’écrivain (notamment avec Pierre Dumayet, Louis Pauwels et André Parinaud). Ce sont ces propos que donne à voir sur scène le comédien Stanislas de la Tousche, quasi-homonyme de Louis-Ferdinand Destouches, avec un mimétisme à la fois physique et verbal, en contrefaisant les mimiques du visage et les inflexions de voix.

Le comédien n’en est pas à son coup d’essai. Avec son metteur en scène Géraud Bénech, il a entamé un cycle célinien en 2011 dans un seul-en-scène intitulé Y en a que ça emmerde ? La scène reconstitue l’environnement du vieil auteur un peu clochardisé, dans la salle à manger de sa baraque sur les hauteurs de Meudon. La bande-son nous y transporte, avec sifflements d’oiseau, aboiements, miaulements, tic-tac de l’horloge et grincements réels de la chaise du comédien, si proche du public dans la petite salle du Poche Montparnasse.

Céline a d’abord eu l’ambition d’égaler son ami Eugène Dabit, l’auteur de L’Hôtel du Nord adapté à l’écran et Grand Prix du roman populiste en 1931. Né à Courbevoie, il grandit dans une boutique confinée du passage Choiseul, empreint d’une « misère digne » bien moins supportable que la « misère vautrée », des pâtes sans sauce à tous les repas pour ne pas imprégner les ouvrages de sa mère dentellière. De ses parents, il dit tenir une tare, un atavisme « nerveux détraqué ». Malgré la mauvaise foi et la paranoïa qui affleurent de loin en loin, le péril jaune que font courir les Chinois à la race blanche et la victimisation de sa condition après l’Occupation, voici une série d’envolées qui font mouche. On pourrait adresser à Céline ses considérations sur la Bruyère et la Rochefoucaud : « ces phrases brèves, ces bouffées d’étoiles », tandis que la Sévigné fait selon lui entendre « un tremblement de velours », bref, « le piano du trou du cul ».

Voilà donc le « branleur de virgules » à son bureau qu’il qualifie d’établi. Celui qui révère Poussin et La Fontaine déclare le style de ses contemporains insignifiant, au hasard Montherlant ou Giono, lui qui ne garde que 800 ou 1000 pages quand il en écrit 80 000. Le style qui l’intéresse c’est celui de Ramuz, Paul Morand ou Barbusse, les autres sont à ses yeux des jean-foutres jésuitiques et efféminés. D’ailleurs, s’il reconnaît un style à Proust, il insiste surtout sur son rôle dans l’acceptation sociale de l’homosexualité (« plus de 300 pages pour vous faire comprendre que Tutur encule Tatave » !). Au passage, dit-il, chaque classe socio-professionnelle compte « vingt pourcents de pédérastes ».  Mais l’essentiel n’est pas là… C’est, pour l’écrivain, de mettre sa peau sur la table, sachant que seul l’instinct de conservation dicte les chefs d’œuvre.

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