Dans la solitude des champs de coton, mis en scène par Charles Berling

Koltès est un des plus grands dramaturges français, un des plus modernes aussi. Surtout par sa langue, ou plutôt celle que parlent ses personnages. Il en émane une oralité naturelle, particulièrement difficile à trouver dans des dialogues écrits. On raconte que Koltès procédait un peu comme Flaubert avec son gueuloir. Pour trouver la juste tonalité d’une réplique ou d’une phrase, il lui arrivait de la répéter jusqu’à ce qu’elle sonne juste, quitte à laisser passer la nuit pour trouver la forme idéale.

Comme dans La Nuit juste avant les forêts, Dans la solitude des champs de coton naît de la rencontre nocturne de deux individus au coin d’une rue. Pendant une heure et quart, Charles Berling et Mata Gabin incarnent les deux personnages de cette pièce, un dealer et un client qui ne veulent pas s’avouer ce qu’ils sont, même s’ils se définissent d’abord par leur manière d’occuper l’espace : l’un qui va d’une fenêtre éclairée à une autre fenêtre éclairée, traçant une droite ou une courbe, l’autre occupant immobile un espace dans l’obscurité. Mata Gabin se sert de son expérience musicale pour jouer ce texte rythmé comme « du jazz, du rap », dit-elle, et Charles Berling, codirecteur depuis 2011 de la scène nationale de Toulon, signe une mise en scène très juste.

Ici, la langue frappe aussi bien par son caractère de précision que par son oralité : oralité soutenue par l’utilisation d’un passé simple qui ne semble pas artificiel, précision du vocabulaire qui traduit exactement la pensée telle qu’elle se forme à l’esprit. C’est d’abord une réflexion sur l’espace que traduit d’ailleurs la scénographie faite d’une ligne lumineuse horizontale, d’un escalier et d’une plate-forme, ainsi que de blocs de béton verticaux, le tout plongé dans une demi obscurité. Ensuite, c’est une pièce sur l’indicible et l’incompréhension qui rappelle un autre texte dialogué, Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, dans l’évocation si précise d’un en-deçà du langage et dans la suggestion de l’ambiguïté des rapports humains. Chez Koltès, cette équivoque est teintée de sexualité, dans le rapport entre celui qui demande et celui qui peut satisfaire cette demande. Tous ces flottements sont magnifiquement évoqués dans ce texte, ici servi par une très haute justesse de jeu.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.