Elie Guillou – Rue Oberkampf

Fils du chanteur breton Gérard Delahaye, Elie Guillou arpente le monde avec sa guitare et ses contes. Bonne bouille, joues qui rougissent et cheveux qui frisent, il vocalise d’un organe tremblant qui émeut et étreint en effleurant à peine sa guitare. Flirtant avec le conte et le slam, ses chansons folks et ses confessions douces naviguent aux confins des genres, entre tradition et modernité. Il court les rues et bat la campagne sans relâche, organise des scènes ouvertes dans les laveries (le Lavomatic tour) et a rallié Paris à Brest en 30 jours à pieds, chantant à chaque escale ses compos dans des lieux différents. Aujourd’hui il veut rendre populaire sa profession de chanteur public, qui vous écrit un texte pour toutes les circonstances de la vie, mariage, anniversaire, naissance, etc..

Rue Oberkampf est une création très originale, plus émouvante que drôle, bien loin du stand-up. Ici c’est un conte, une épopée, celle d’un jeune chanteur plein d’illusions à la quête de son « Johnny originel ». Pour ce faire, il doit accomplir son parcours initiatique : descendre la rue Oberkampf, vue comme un jeu de l’oie aux cases semées d’embûches, depuis le métro Ménilmontant jusqu’au « Bataclan aux grandes portes d’or ». « Nécessité poétique » dans la poche gauche, « vanité auto-centrée » dans la droite, il longe cette axe semé de cafés aux patrons imbuvables dont il doit séduire la clientèle distraite ou indifférente guitare à la main, rencontre une conseillère ANPE qui déplore son statut d’artiste improductif et veut le voir emprunter une voie parallèle, est alpagué par un producteur évidemment véreux qui transforme les artistes en paillassons. Ainsi Elie Guillou devient Frisette, on lui fait des bigoudis en lui répétant « t’es le meilleur, t’es le meilleur» et il gagne tous les radio-crochets. Sa chanson « Barque dans le port », interprétée à tort comme une métaphore phallique quand le chanteur évoque le « chiasme de Merleau Ponty », devient « Bateau dans la forêt » et enfin « Bateau phallique ». Dans un passage très drôle où il décrit un concours qui doit élire l’invité du Bataclan, Frisouille est confronté sur scène à un Mozart de six ans, à un crooner R’n’B nommé Loverbooké et à deux émouvants Xylopho-loutres.

Elie Guillou occupe bien la scène, passe d’un mode de diction à l’autre, du conte au chant, et sa voix douce prend tout à coup des accents vibrionnants. S’il n’évite pas quelques longueurs et moments attendus, ce conte, qui permet tous les renversements, regorge aussi de trouvailles : ainsi les cases ANPE et boucherie signifient découragement et poubelle, tandis que le public, au lieu de demander à l’artiste « une autre, une autre », crie « la même, la même » ! On découvre un univers mythique, un monde de recyclage artistico-industriel où le chanteur n’est qu’un produit qu’on jette après l’avoir consommé, dénaturé. Mais Elie Guillou reste ce jeune musicien au cœur pur, à la plume et à la voix déliées, dont la nécessité poétique aura toujours raison de la vanité auto-centrée.

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