La Conférence, de Christophe Pellet, mise en scène Matthieu Roy

On pourrait voir en Christophe Pellet un auteur qui crache dans la soupe, dans ce monologue enlevé et acrimonieux sur le service public de la culture, alors même qu’il a été élu « Grand prix 2009 de la littérature dramatique ». Mais d’une part il est parfois nécessaire pour critiquer un milieu, de le faire de l’intérieur (c’est le débat entre Schneidermann et Bourdieu), d’autre part c’est parfaitement écrit et interprété.

Après la mise en scène et l’interprétation de Stanislas Nordey, la compagnie du Veilleur adapte ce monologue. Seul en scène, Philippe Canales excelle dans le rôle de Thomas Blanguernon, qu’on devine un double de Pellet inspiré par Thomas Bernhard, jeune auteur vivant à Berlin, forcé de revenir à Paris pour gratter un peu d’argent à l’occasion d’une conférence dans un théâtre public. Avant d’entamer ce discours que lui a commandé Marie-Jo, l’administratrice, il croise le directeur du théâtre, Didier Palanquet, qui lui glisse une remarque insidieuse : « alors toujours dans le circuit, Blanguernon ? » Associée à l’absence de la commanditaire pendant cette conférence qui n’intéresse personne, cette pique est reçue comme un coup de poignard par l’auteur susceptible et dépressif.

Cette conférence, toute de fiel et de bile, dresse un constat dégoûté : la société française, de concert avec l’esprit et le territoire français, à travers ses institution culturelles, sont là pour asservir l’art, la poésie, la beauté, à un simulacre d’art jargonneux, laid et abscons. On pense à ces théâtres de banlieue, scènes nationales bétonnées aux programmation parfois absurdes. C’est le deuil de la beauté et de la grâce que chante la plume crissante de l’auteur. Empoisonné par « l’État français, l’esprit français et les entreprises culturelles du territoire français », il est contraint, sa conférence achevée, de manger « une saucisse de cheval sauce vinaigre » face à un jeune auteur, « fils de producteur de bouchon de bouteilles de vin », Léo Fratellini, qui veut « percer » dans la littérature dramatique. Une gradation vers l’insupportable.

Debout, le comédien marche, s’arrête pour mimer son discours, une alternance de monologues intérieurs et extérieurs mise en valeur par des bruitages de fond et la chanson de Balavoine, « J’aurais voulu être un artiste ». L’acteur excelle par sa diction caricaturale, distend les sons de chaque mot, du début à la fin, soulignant l’ironie du texte. 50 minutes de performance exceptionnelle, un cours de diction satirique qui convient à ce monologue écrit d’une plume alerte, aux périodes entraînantes, marqué de reprises, de répétitions qui soulignent, martèlent le caractère cauchemardesque de la conférence. Aussi infernal que réjouissant.

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