Le bourgeois gentilhomme

  • Comédie-ballet de Molière et Jean-Baptiste Lully. Mise en scène Catherine Hiegel. Avec François Morel, Alain Pralon, Marie-Armelle Deguy, Olivier Bioret, Anicet Castel, Stephen Collardelle, Joss Costalat, Eugénie Lefebvre, David Migeot, Emmanuel Noblet, Romain Panassie, Camille Pelicier, Gilian Petrovski, Géraldine Roguez, Frédéric Verschoore, Héloïse Wagner et l'Ensemble Baroque La Rêveuse.
  • Spectacle vu le 6 mars 2012 à

A l’heure où les théâtres connaissent des difficultés de fréquentation, celui-là ne désemplit pas. Peut-être parce que la tête d’affiche, François Morel, attire le chaland. Loin d’être seul, le voilà entouré sur scène de quelques 25 comédiens, musiciens, chanteurs et danseurs, tous au diapason d’une performance sans faille. Catherine Hiegel propose une mise en scène actuelle qui ne trahit ni l’esprit ni la lettre du texte de Molière, parfaitement accordé à la musique de Lully et aux costumes d’époque. Il s’en faudrait de peu que le leader des Deschiens n’écrase les autres comédiens, une ou deux mimiques appuyées en plus, mais il n’en fait ni trop ni trop peu et laisse agir l’harmonie du spectacle.

Le bourgeois gentilhomme est une comédie-ballet de Molière et Lully. Elle a été commandée à Molière par le Roi Louis XIV comme une « turquerie » répondant à l’orientalisme des années 1670, un peu à la façon, cinquante plus tard, des Lettres persanes de Montesquieu. C’est l’histoire d’un riche bourgeois ridicule, Monsieur Jourdain, qui veut échapper à sa classe en singeant les codes de la noblesse sans en saisir l’esprit. Afin qu’on le considère comme un gentilhomme, il engage un maître de musique, un maître de danse, un maître d’armes et un maître de philosophie.

Dès la première scène, d’ailleurs, le maître de danse et le maître de musique débattent de la nécessité ou non, pour les artistes, d’avoir un public qui comprenne leur art, si tant est qu’un mécène les gratifie de monnaie sonnante. Et on pense à Sarkozy affectant de lire Proust après avoir dit son aversion pour la Princesse de Clèves. En outre, on croirait entendre Carla Bruni à travers le ton snob de la marquise dont s’éprend M. Jourdain, Héloïse Wagner, aussi convaincante qu’Emmanuel Noblet en courtisan feignant un ennui langoureux pour mieux séduire. Chez les chanteurs qui roulent les airs comme chez les acteurs, on note un très gros travail de diction. Que dire des inflexions du maître de « daïnshe » ? Accent du sud, prononciation à l’américaine, ou préciosité de cour, annonçant, plus d’un siècle plus tard, le grasseyement affecté des merveilleuses ?

Le jeu, les chorégraphies, les chants, les explosions, tout est au point, jusqu’aux effets de sons et lumières de la cérémonie finale, où le bourgeois est fait Mamamoushi, un honorable titre ottoman. Bref, les neufs musiciens de l’ensemble baroque La Rêveuse, les cinq danseurs acrobates qui bougent sans cesse, les trois chanteurs et les neufs comédiens participent tous, absolument tous, à créer chez le public un plaisir non mêlé. Et bien que rien n’ait été changé au texte de Molière, la mise en scène rythmée, vivante et intelligente de Catherine Hiegel semble une adaptation contemporaine. La meilleure façon qui soit, aujourd’hui, d’entendre la langue de Molière.

* * *

Extrait de la première scène :

– Maître à danser : « Pour moi, je vous l’avoue je me repais un peu de gloire. Les applaudissements me touchent ; et je tiens que, dans tous les Beaux Arts, c’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots ; que d’essuyer sur des compositions, la barbarie d’un stupide. […]

– Maître de musique : « J’en demeure d’accord, et je les goûte comme vous. Il n’y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites ; mais cet encens ne fait pas vivre. Des louanges toutes pures, ne mettent point un homme à son aise. Il faut y mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c’est de louer avec les mains. C’est un homme à la vérité dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses et n’applaudit qu’à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit. Il a du discernement dans la bourse. Ses louanges sont monnayées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduit ici.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.