Le cabaret discrépant d’après Isidore Isou, par Olivia Grandville

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  • D'après Isidore Isou. Spectacle de Olivia Grandville. Avec Vincent Dupont ou Hubertus Biermann, Olivia Grandville, Catherine Legrand, Laurent Pichaud, Pascal Quéneau, Manuel Vallade
  • Spectacle vu le 25 janvier 2013 à

La Colline présente parfois des spectacles post-modernes qui laissent songeur ou indifférent. Tenter de mettre en forme un concept aussi avant-gardiste que celui du lettrisme est une gageure qui trouve ici sa place – la première partie du spectacle démarre dans le hall, puis dans les coursives du premier étage, par une série de performances que le public peut observer en déambulant. L’esprit du lettrisme est ici respecté, ce mouvement fondé par Isidore Isou, né en Roumanie en 1925, sur les ruines de dada et du surréalisme. Greil Marcus l’explique ainsi : après la destruction de l’anecdote par Baudelaire au profit de la forme poétique, après celle de la forme par Rimbaud pour le mot, puis celle du mot transformé en son par Mallarmé, et enfin celle du mot annihilé par Tzara, Isou réhabilite la lettre. Celle-ci permet de créer une poésie sonore, parfois dépourvue de sens, des équations existentielles, un mouvement créateur… C’est aussi une provocation de jeunesse, l’avant-garde de l’avant-garde, que les acteurs traduisent ici par des proférations et des calculs élaborés, comme ce théorème mathématique de la théologie qui rappelle le calcul de la surface de Dieu par le Dr Faustroll, dans l’œuvre de Jarry qui a donné naissance à la Pataphysique.

Alors un cabaret, certes, mais discrépant ? Qui présente des aspects discordants, divergents. Ainsi, après une demi-heure de performances éparses à l’extérieur de la salle, le spectacle se poursuit de façon plus traditionnelle, le public « inaccoutumé à ce travail formel » assistant à « conférence performée sur dix-neuf ballets ciselants » : lèvres, yeux, doigts, cheveux, orteils… Soit une négation du ballet, l’attention donnée à des détails du corps, générant du rien, des jets d’objets entre le public et les acteurs, des démarches excentriques comme chez les Monty Python, un chat traîné en laisse sur scène qui fait hurler de rire le public, ou un ballet uniquement parlé (la danse est ailleurs)… Lorsque le micro est tendu à la salle, une spectatrice intervient pour de vrai et le 4e mur est brisé, chose inhabituelle au théâtre.

Toutes ces contre-performances échevelées, futuristes ou déstructurées, locutions inaudibles et jeux de scènes surprenants, sont interprétées par une troupe unanimement drôle et alerte, dirigée par la gracieuse Olivia Grandville, également sur scène. Il ne s’agit donc pas d’un énième spectacle prétentieux et foutraque, mais d’une réflexion vivante sur le lettrisme, dont transparaît ici la démarche. De même que la conférence sur le « ballet ciselant » cherche l’idée de la danse plutôt que sa réalisation qui, selon Isou, la tuerait, de même l’idée du lettrisme s’incarne-t-elle dans ce cabaret polymorphe et stimulant.

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