Un mage en été, d’Olivier Cadiot par Ludovic Lagarde

Depuis quinze ans, Olivier Cadiot imagine ses mots prononcés par Laurent Poitrenaux, toujours mis en scène par Ludovic Lagarde. Un mage en été marque le retour à la forme monologuée du Colonel des Zouaves (1997), ce qui permet au comédien de livrer une performance à mi-chemin entre one-man-show et poésie. Il s’agit ici de prosodie, c’est-à-dire de placer la voix toujours là où il faut. Car Olivier Cadiot, avant d’être dramaturge, est un poète sonore…

Ce nouveau spectacle, contrairement aux précédents, est soutenu par une création vidéo sans écran. Dans le noir qui enveloppe le comédien défilent émoticônes, symboles et signes qui se fondent dans son monologue. Un haussement de sourcil, de la hanche, la parole amplifiée par le micro, le grain de voix, le débit qui s’accélère, la construction des phrases en copier/coller : toutes ces inflexions prolongent et concrétisent le livre mieux qu’on aurait pu l’imaginer en le lisant. Pour Olivier Cadiot, il s’agit de « tourner le livre de force vers la scène », pour Ludovic Lagarde, de « passer de l’implicite du livre à l’explicite de la scène ».

Le mage dont il est question dans le titre, c’est une variation autour de ce Robinson auquel Cadiot est fidèle. Le récit part d’une image : en été, une femme plongée à mi-corps dans le cours d’une rivière. Entre le dedans et le dehors, entre l’air et l’eau, dans le sens du courant, elle respire, retirée à elle même, comme si elle méditait. A partir de ce sentiment d’équilibre serein, le narrateur, mage sans le vouloir, entame une introspection vers ses contrées intérieures, il s’explore lui-même en recourant à des outils numérico-littéraires – « 1 milliard de pixels – zéro perte » -, il plonge en lui-même comme un mage, ce mage qu’il finit par retrouver dans une branche de sa généalogie, sous la figure atroce d’un mystique de la secte de « l’Aube Dorée ».

Seul sur scène, Laurent Poitrenaux est, au sens propre, un poisson dans l’eau. Ses gestes fluides, précis, assurés, suivent les modulations de sa voix. Au texte métaphysique et poétique d’Olivier Cadiot, il donne une carnation concrète, lisse et rugueuse, moirée. Dans les passages abstraits où le public risque de perdre le fil, il change de registre, passant à l’interpellation stand-up ou à une séquence dansée au stroboscope sur une chanson de Miss Kittin. Durant une heure vingt, sa performance sans faille, debout et minimaliste, est soutenue par des images d’equalizer ou d’électrocardiogramme et par la bande son sensitive de l’IRCAM, diffusée en stéréo, qui enveloppe le public d’un côté à l’autre de la salle… Tous les effets de mise en page qui semblaient des afféteries dans le livre révèlent ici leur puissance, leur nécessité.

Pour ne rien perdre de ce monologue, il faut maintenir tendu le fil ténu de l’attention. Alors une expérience inédite s’offre à vous : pénétrer la tête du poète mage et découvrir son cinéma intérieur.


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