Bigard – N°9

Sur scène, Bigard est à l’aise comme un poisson dans l’eau, même s’il demande périodiquement au public de l’encourager lorsqu’il passe sous les feux de la rampe depuis un coin du plateau où il a installé un bureau : pour la première fois, il dévoile cette coulisse où il peut boire un peu d’eau, se gratter les couilles ou lire ses notes, alors qu’avant il courrait en loges durant les noirs et revenait essoufflé… Les conseils de François Rollin ont-ils favorisé cette innovation, après 28 ans de scène et 24 ans de one-man-show ?

Pour son neuvième seul en scène (l’appellation qu’il préfère), Bigard s’attaque au temps qui passe. Pas seulement d’un point de vue scientifique, mais aussi onirique, le tout évidemment enrobé des grossièretés qui font sa marque de fabrique, non sans une touche de scatologie et un peu d’imaginaire. A l’instar des femmes pressentant l’adultère ou des éléphants détectant l’arrivée du tsunami bien avant les humains, Bigard appelle les spectateurs à suivre leurs intuitions et les invite, en s’endormant, à penser à des choses sereines plutôt qu’aux « connards » qui leur empoisonnent la vie et jouissent du mal qu’ils causent, connectés à leur victimes par le fil de la pensée. Après la télépathie, il évoque la distorsion du temps, rapprochant le sommeil paradoxal, où un rêve qui semble long dure en fait quelques instants, du film d’une vie que voient défiler ceux qui ont frôlé la mort. Mieux vaut avoir fait de bonnes actions et du bien autour de soi avant de mourir. Et si les meilleurs partent les premiers, c’est peut-être que les salauds retardent le moment de ce bilan difficile.

Certes, le sketch où Bigard s’imagine spermatozoïde sorti des « couilles de son père » n’est pas le plus original – c’est un classique de la pub et du one-man-show, déjà mis en scène par Audrey Lamy, Cyril Etesse ou Julien de Ruyk. Rien à dire, en revanche, à propos du plongeon olympique de la crotte (anthologique) ou du bon usage de la brosse à chiottes. Au pays où « comment allez-vous » était la question des courtisans au roi sur la selle, Bigard n’est pas le seul à aimer le caca. Fils de charcutier, il n’a d’ailleurs pas oublié la préparation l’andouillette.

S’il parle aussi volontiers du sexe ou de la défécation, ce n’est pas gratuit : bien au contraire, c’est parce que ces sujets gênants ou tabous constituent notre quotidien, le cœur même de notre vie. En fait, Bigard pratique le stand-up le plus radical et le plus puissant : il expose le quotidien avec son regard singulier et tout le monde s’y retrouve – pour peu qu’on accepte de se regarder en face.

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