Changer constamment en lumière et en flamme, de Michel Onfray

Le titre poétique, imagé, révèle une facette littéraire et personnelle du philosophe Michel Onfray. Interprétant des textes autobiographiques montés par Dominique Paquet, un comédien seul en scène incarne le philosophe. Thomas Cousseau, précis et fiévreux d’un bout à l’autre, raconte à la première personne l’itinéraire du penseur aux origines sociales modestes, de son enfance délaissée à ses débuts comme prof. Difficile d’imaginer un parcours empreint d’une telle misère humaine. Sa mère, femme de ménage elle-même abandonnée dans son enfance, le confie à l’internat – assez voisin d’un orphelinat – de Giel, qui sonne comme « un mélange de gel et de fiel », quatre années infernales à côtoyer la rudesse des adultes et la cruauté des enfants. Puis c’est le lycée, les petits boulots dans l’usine de fromage aux murs suants le lait caillé, et, son bac passé, la rencontre avec son maître Lucien Jerphagnon à la fac de Caen, qui l’a initié à la pensée antique, laissant à chacun de ses étudiants un souvenir impérissable. Enfin, à peine évoqués ses débuts comme prof, un infarctus le frappe à 28 ans qui marque une cassure, et le début d’un cycle d’écriture interrompu, comme un élan naturel, vital.

Un illustre exemple de « résilience » : comment du malheur de l’enfance émerge une lutte pour l’amour et la philosophie, comment la flamme se nourrit-elle de la douleur ? La mise en scène de Patrick Simon, avec son module cubique suspendu au plafond, laisse au texte la place qui lui revient. Le comédien est sur le fil de la rage, de l’émotion, pour énoncer cette langue claire semée de verbes et d’adjectifs claquants. Sa performance est incarnée, emportée comme l’auteur dont il montre les blessures.

Et l’on découvre un tout autre personnage que le bretteur médiatique friand de diatribes contre la religion ou le freudisme. Peut-être Onfray est-il meilleur lorsqu’il parle de lui-même ? En tous cas, il ne cache par le lieu d’où il pense, puisque sa philosophie naît des contingences de la réalité. On découvre ainsi un Onfray amateur de blues et de bonne chère, un homme de plume polymorphe aux velléités de critique gastronomique lorsqu’il rend hommage à la cuisine moléculaire de Ferran Adrià. Lui dont le père était un taiseux, son goût du langage lui vient-il de ce mutisme paternel ?

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