Ma langue maternelle va mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour, de Yannick Jaulin

Aujourd’hui, Yannick Jaulin est l’un des derniers représentants de la tradition orale populaire. Chaque fois qu’il monte sur scène, il choisit de s’exprimer en partie dans sa langue maternelle, le poitevin-saintongeais, composé à 30 % de berrichon, 30 % d’occitan et 30 % de gallo, même si très peu de gens l’entendent. C’était le cas dans son spectacle sur le dodo, métaphore d’une langue qui disparaît. Aujourd’hui, il a choisi le théâtre des Bouffes du Nord pour se produire en compagnie du musicien béarnais Alain Larribet, aperçu sur scène avec le slameur Capitaine Alexandre, dans un spectacle d’une très rare qualité traitant de la langue, suivi juste après d’un seul-en-scène sur ses relations amoureuses, également en français et en poitevin.

Ma langue maternelle va mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour : voilà un titre qui dit assez bien le propos, à la fois conférence sur le français et sa langue natale, clowneries et conte agrémenté de considérations sociales sur le travail, l’amour, la famille. Jaulin démontre sans être pesant ce sentiment d’infériorité intériorisé par les locuteurs de sa langue maternelle, qui en ont honte comme d’une maladie. Il alterne les voix, les tons, les modes tantôt sérieux, enjoué ou exaspéré, et s’emporte parfois physiquement dans des danses ultra énergiques… Ces pas de danse nous rappellent le rythme perdu de la musique française, tout comme le français a été dépouillé au 17e de son vocabulaire paysan, pour en faire la langue de l’aristocratie européenne.

Alain Larribet est le complice idéal du conteur, avec sa musique émouvante parfaitement interprétée à l’harmonium, au sitar, à la flûte indienne et au duduk, ce hautbois arménien. Ce berger musicien chante en occitan béarnais d’une belle voix modulable, de l’aigu assourdi à la basse vibrionnante. Le spectacle est pensé, écrit et incarné par ses deux interprètes, réglé comme un métronome et semé de longues respirations musicales. Pas de concurrence ni d’interférence entre le conteur et le musicien qui ont chacun le temps de développer leur partition.

On retrouve en Jaulin à la fois un conteur et un penseur qui, sans verser dans le régionalisme, propose une réflexion apaisée et profonde sur l’histoire du français et de ses langues régionales, dans une démarche inspirée par Parler croquant, de Claude Duneton. Jaulin déploie une très grande palette verbale, de la conférence au conte, en passant par l’incarnation burlesque de personnages. Bref une vraie leçon d’art oratoire

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