Les primaires… des primates, par la troupe des chansonniers des 2 Ânes

Les 2 Ânes c’est une institution de l’humour français, la survivance d’un esprit chansonnier et montmartrois centenaire. Le théâtre est créé en 1917 à l’initiative de Roger Ferréol et André Dahl, déjà propriétaires du Dix Heures voisin, aujourd’hui rajeuni et dirigé par Yassine Belattar – entre lesquels on trouve le Chat noir qui a vu débuter les premiers chansonniers à la fin du 19e siècle. Du premier rang au balcon, la salle est comble de retraités provinciaux friands du Caveau de la République ou du Dom Camillo qui présente une revue baptisée 2017 retour vers le foutoir – quand les 2 Ânes affichent aussi Objectif l’urne.

En entrant, on est frappé par une marée de têtes blanches. Aussitôt on trouve dommage qu’aucun jeune ou presque ne vienne traîner ses jeans ici. En sortant, on comprend mieux cette absence, qu’on peut expliquer par les codes générationnels en matière d’humour. D’ailleurs, Gilles Détroit fait allusion à l’âge du public lorsqu’il lance une blague sur Tinder qui tombe à l’eau.

Quelle est, au fond, la différence entre les 2 Ânes et le Jamel Comedy Club ? C’est à la fois le contraire et la même chose. Tout comme sur les plateaux de jeunes humoristes, certaines vannes resurgissent d’un comique à l’autre, genre « Michel Sapin, les boules ». Et il y a un automatisme chez ces stand-upeurs et ces chansonniers dont les phrases commencent par « je ne sais pas si vous avez remarqué », comme le suggéraient les sketchs de Laurent Lafitte ou Elie Semoun. Lorsqu’il incarne Georges-André Gaillard (au théâtre des 2 Chaises), Elie Semoun démarque un ancien des 2 Ânes, Pierre-Jean Vaillard – dont les sketchs, récités comme des poésies, dégagent pourtant un humour rythmé, distancié, écrit.

En cette période électorale, nous voici aux Primaires des primates. On va parler politique, dans une veine satirique française portée de façon plus moderne par Charlie Hebdo et Le Canard enchaîné. Le maître de cérémonie, c’est Jaques Mailhot, directeur du théâtre depuis 1995, un vieux de la vieille dont le neuveu Régis renouvelle le genre. Des six artistes présents, le taulier est le plus vif et le plus rodé, qui tient son public en haleine à un rythme effréné. Son fond de commerce : faire rire au détriment de la « brochette d’amateurs » qui semble lui avoir mâché le travail. Il s’acquitte de son monologue acerbe avec aisance, tout comme Jean-Pierre Marville. Florence Brunold, elle, dresse un bestiaire politique facile qui plaît aux spectateurs. Michel Guidoni excelle dans ses imitations chantées un peu ringardes, sur Marcel Amont, Yves Montant, Joe Dassin, et il campe un Sarkozy au mimétisme d’automate.

Dans ce flot d’humour politique, Gilles Détroit dénote un peu avec ses sujets de la vie quotidienne chers au stand-up : le métro, la ville, le couple, et son sempiternel sketch de la feuille d’impôts  – qu’il a simplement transposé à internet, à l’aide d’une tablette qu’il tient à deux mains, pour qu’on comprenne bien. Quant à la jeune chanteuse Emilie-Anne Charlotte, qu’elle campe Marianne ou une intervieweuse peu crédible, on lui a hélas laissé un rôle de potiche.

Nos chansonniers recyclent d’anciennes vannes, trop contents d’avoir trouvé des calembours sur Ségolène Royal ou Denis Baupin pour ne plus les ressortir – au risque de manquer d’à propos et même si le public ne s’en souvient pas. Heureusement, ces saillies au forceps, parfois éculées jusqu’à la corde, alternent avec des commentaires sur l’actu fraîche, comme l’alliance entre Macron et Bayrou. Elie Semoun avait vu juste quand il parodiait son chansonnier aux références datées, qui n’avait pas actualisé ses fiches depuis le président Pompidou.

Enfin, que dire de ces saynètes à peine composées et qui laissent les spectateurs hilares, comme ce mariage gay joué par le couple Mailhot / Détroit, aux accents plus outrés que La cage aux Folles ? Quand Florence Brunold joue Angela Merkel en répétant « Würste » (saucisses) ou qu’elle traduit MST par « maladie scootèrement transmissible », on est un peu effondré. Les caricatures politiques sont dessinées à gros traits, sans surprise, exactement comme on les attend : Strauss Kahn lubrique, Sarko agité, Hollande mou ou Valls tremblant – à défaut de voir apparaître Mélenchon et Marine Le Pen.

Si on appréciait l’à-propos de la Revue de presse des 2 Ânes présentée par Jérôme de Verdière (au théâtre ou version plateau), la comédie semble ici figée dans ce qui semble, trente ans après, un remake du Bébête show.

 

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