Ardente patience, mise en scène de Michael Batz

  • D'Antonio Skarmeta. Mise en scène Michael Batz. Avec Jean-Paul Zennacker, Frédéric Kontogom, Olivia Barreau, Nadine Servan, Wladimir Beltran, Leo Melo
  • Spectacle vu le 4 octobre 2013 à

Une ardente patience est un roman d’Antonio Skarmeta, auteur et cinéaste chilien émigré à Berlin, qui met en scène la vie du poète Neruda sur une île où il réside seul, Isla Negra – Isla Negra est en réalité un quartier côtier d’El Quisco, où se situait l’une des trois demeures du poète. Au contact de la nature, Neruda est insouciant et heureux, avant d’être appelé à devenir ambassadeur en France lors de la victoire présidentielle de Salvador Allende, jusqu’au coup d’état de Pinochet, le 11 septembre 1973. C’est cette toile de fond historique qu’évoque ce beau texte, dans une dialectique entre poésie et politique où l’amour adolescent côtoie la montée du fascisme. Neruda se lie d’amitié avec un jeune facteur amoureux de la fille de l’aubergiste, qui lui demande conseil pour la séduire et trouver les métaphores qui mettront des papillons dans son ventre… Ou la poésie comme arme de séduction ! Ce livre a d’abord été porté à l’écran par Skarmeta lui-même, avant l’adaptation en 1996 de Michael Radford, dans Le Facteur, qui place le cadre dans l’Italie des années 50.

En mettant l’accent sur la relation entre le poète et le jeune homme épris de la beauté des mots, le britannique Michael Batz livre sa propre adaptation sur la grande scène du théâtre de l’Épée de bois qu’il investit entièrement, avec une scénographie très fertile : plan incliné, vélo du facteur qui passe entre les spectateurs, figures de proue suspendues au plafond, écran diffusant en boucle le ressac de la mer « toujours recommencée » comme dirait Valéry, tandis que des chansons latino-américaines rythment l’action… On ressent l’insularité forte, la poésie des lieux que chante chaque mot, chaque phrase de Neruda.

Jean-Paul Zennacker campe un solide Neruda, avec sa voix grave, son embonpoint et sa bonhomie de poète ami du peuple. Le facteur est incarné par Frédéric Kontogom, avec ce qu’il faut d’ingénuité pour ses 17 ans, la pulpeuse Olivia Barreau est sa promise, tandis que Nadine Servan joue une mère un peu hystérique. Enfin, Wladimir Beltran et Leo Melo assurent les rôles secondaires et animent l’auberge de leurs guitares.

Petit à petit, la politique prend le pas sur la poésie de la nature et sur l’amour, d’abord contrarié, des deux jeunes amants. Tout s’entremêle jusqu’à ce que la fin ne s’étire en longueur, chaque scène semblant ajoutée à celle qu’on aurait cru la dernière, sans qu’on ne comprenne bien l’irruption morbide de la politique dans la vie tranquille des habitants… Mais quel rythme dans la parole de Neruda qui résonne si fort, au début de la pièce, dans les premiers mots d’« Ode à la mer » :

« ICI dans l’île
la mer
et quelle étendue !
sort hors de soi
à chaque instant,
en disant oui, en disant non,
non et non et non,
en disant oui, en bleu,
en écume, en galop,
en disant non, et non… »

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