Voltaire Rousseau, de Jean-François Prévand

C’est un spectacle créé en 1991 par trois amis, dont les deux premiers se connaissent depuis le conservatoire : Jean-Luc Moreau, Jean-François Prévand et Jean-Paul Farré. Prévand imagine la rencontre de Voltaire et Rousseau dans la maison de Voltaire à Ferney, à la frontière franco-suisse. L’argument : Rousseau y rend visite à son respectable aîné qu’il soupçonne d’avoir écrit un pamphlet qui le vise, Sentiment des citoyens, publié à Genève en 1764. Voilà donc confrontés sur scène deux monstres de la pensée des Lumières, dans un spectacle qui semble un hommage aux anciens exercices de rhétorique ou de philosophie. Si la situation est inventée, l’essentiel des dialogues sont tirés d’œuvres connues et agencés avec bonheur pour un public un peu âgé, à l’image des acteurs qui ont maintenant l’âge de leurs personnages.

Jean-Luc Moreau, acteur et prolifique metteur en scène de boulevard, joue un Rousseau hirsute, lunaire, attifé d’un costume oriental ridicule, tel un ado révolté et incompris –  en alternance avec son homonyme Jean-Luc Moreau. Calvitie bordée de longs cheveux blancs, Jean-Paul Farré, en habit d’aujourd’hui, campe un Voltaire cinglant, ironique, à l’esprit d’à-propos imparable.

Beaucoup de mots d’esprit fusent et une vraie dialectique se met en place, ménageant des enchaînements logiques savoureux pour l’esprit. Pour ou contre le théâtre, la religion, la liberté de pensée, la responsabilité individuelle ? Ces deux visions s’opposent presque sur tout, même s’il s’agit pour l’un et l’autre de penser l’homme et la société modernes.

Le montage d’écriture de Jean-François Prévand met intelligemment en perspective la pensée des Lumières pour le spectateur actuel. C’est drôle et bien vu. Ainsi Rousseau use de néologismes aujourd’hui entrés dans l’usage, mais incompréhensibles à Voltaire, par exemple lorsqu’il traite ce dernier de capitaliste : « Qu’est-ce que c’est encore que ça ? C’est suisse ? »

Bref, voilà un exercice de vulgarisation à l’ancienne, qui livre la substance de la pensée des philosophes dans une incarnation ludique, souscrivant à cette conception classique du théâtre qui définit la programmation du Poche.

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