Kheiron est un des artistes les plus accomplis et polyvalents de la scène stand-up, puisqu’il rappe, slame et improvise sans se forcer. Cinq ans après l’avoir vu aux Dix heures, on le retrouve au République, dans une performance à la fois identique et différente – sur une base de trois heures, il dit piocher chaque fois une heure de show. Voire moins, vue la dose d’impro et l’adresse permanente aux spectateurs…
On a d’abord droit aux courtes interventions de Donel Jack’sman et Bun Hay Mean (deux fois cinq minutes), dont Kheiron invite la salle à découvrir les spectacles en distribuant un flyer commun aux trois artistes. Donel ricane du saut dans la foule raté de Shyem à Bercy – elle a fendu les flots façon Moïse avant d’embrasser le sol -, Bun Hay se demande si un musulman modéré ne fait que « deux prières et demi par jour » et dit qu' »Allah est grand mais pas trop ».
C’est en rappant sur une instru que Kheiron investit la scène (l’année dernière, avant son film, il a sorti un EP de 7 titres). Il ne tarde pas à allumer la salle pour aviser les têtes qu’il va interpeller durant plus d’une heure. Pire, il fait lever les mains, comme à l’école primaire, toutes les deux ou trois minutes, jusqu’à demander aux gens de dénoncer leur voisin, lorsqu’un spectateur part pisser en cours de spectacle – un passage obligé de son show, tout comme cette recherche d’un mec du public pour une fille célibataire : il lui cherche alors l’homme idéal dans un jeu de Qui est qui ? géant et assez long… Si bien que la salle passe son temps à réagir bêtement à ces stimuli, comme dans les shows de Baffie et Arthur !
Heureusement, le talent est là. En toutes circonstances, Kheiron rebondit sur les réactions du public qu’il invective sèchement ou tendrement avant de retomber sur ses pattes. C’est parti pour un jeu de massacre qui entretient les clichés communautaires tout en les dénonçant : Noirs toujours en retard, Antillais pervers, Reubeus islamistes, Juifs qui trichent. Plus subtil, il demande aux spectateurs qui auraient un métissage complexe ou improbable de se manifester, pour deviner leurs origines – ce à quoi qu’il échoue ce soir-là.
Le comédien explique les rouages de la fellation aux ados (provoc’, mais ça passe), traduit les mots de verlan à l’attention d’une dame âgée, en cherchant d’ailleurs à identifier les spectateurs les plus vieux – obligés de lever la main, comme toujours. Bon, ce jeu façon club med’ ou colonie de vacance ne va pas sans autodérision, et Kheiron finit par évoquer ses traumatismes médicaux, prélèvement urétral et sonde anale, ouhouhouh !
En sortant, on a l’impression que les spectateurs ont passé leur temps à répondre à l’appel et aux injonctions du Pr Kheiron (son précédent show s’appelait Libre éducation). Mais pourquoi se priver de manipuler un public qui semble tellement consentant ? Dommage qu’un si brillant showman s’enferme dans son propre système !
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