Par-delà les marronniers, de Jean-Michel Ribes

  • Texte et mise en scène Jean-Michel Ribes. Avec Maxime d’Aboville, Michel Fau, Hervé Lassïnce, Sophie Lenoir, Alexie Ribes, Stéphane Roger, Aurore Ugolin
  • Spectacle vu le 17 mars 2016 à

“La vie ne vaut pas la peine d’être vécue, mais je vaux la peine de vivre”, disait Arthur Cravan. C’est en assemblant des phrases de ce style, jetées avec fierté et indifférence à la face du monde, et traduisant un pessimisme ironique, que Jean-Michel Ribes a conçu ce spectacle hommage à trois figures fulgurantes du début du vingtième siècle. Soient trois dandys antimilitaristes et dada, inspirateurs des surréalistes et que Breton mentionne dans son Anthologie de l’humour noir : Arthur Cravan, Jacques Rigaut et Jacques Vaché. Bien qu’ils ne se soient pas connus, et même jamais rencontrés, ils éprouvaient tous les trois une singulière aversion pour leur époque teintée d’esprit militariste ou petit commerçant, voulaient la grande vie mais sans compromission – et partagent un itinéraire d’étoile filante, vite éteints. Cravan s’est laissé dériver sur une barque au large du Mexique, Vaché a fait une overdose d’opium et Rigaut s’est suicidé d’une balle dans la tête.

Pour mettre en scène ces trajectoires incandescentes de l’avant-garde artistique, Ribes a choisi une forme de cabaret – il est vrai que dada est né à Lausanne au cabaret Voltaire. Trois excellents comédiens, Michel Fau en Cravan, Hervé Lassïnce en Rigaut et Maxime d’Aboville en Vaché, vêtus de smockings blancs, jettent en l’air leurs piques spirituelles, tandis que Sophie Lenoir, Alexie Ribes, Aurore Ugolin, danseuses de music hall, chantent et font les didascalies. Tous évoluent dans une scénographie inventive, colorée, futuriste, qu’on imagine dans l’esprit de l’époque.

Ribes reprend aujourd’hui un texte écrit en 1972 (d’où le revu(e) équivoque du titre), construit comme un recueil de citations où l’on ne distingue pas toujours sa partition de celles de ses héros maudits. En cinq tableaux, la guerre, l’amour, l’art, l’ennui et la mort, il parvient, au prix d’un montage habile, à retranscrire les instants clés de ces vies singulières. Voilà des hommes qui dissèquent la bêtise ambiante, sans épargner les artistes les plus modernes de leur temps, comme dans cette conférence sur la détestation de l’art que Cravan donne aux États-Unis, nu et ivre mort. Ils n’aiment ni la France, ni l’Europe, car c’est l’Amérique qui les fascine. Cravan épouse la muse de Duchamp, Mina Loy, Vaché une milliardaire américaine, Rigaut aime les pin-up des magazines.

Tout n’est pas aussi réussi que la première scène qui montre les trois drôles convoqués par un sergent buté (excellent Stéphane Roger), leur portait brossé en quelques traits enlevés : Vaché, « inventeur de l’humour sans h », Rigaut qui se définit comme « le raté-étalon » et considère le suicide comme « l’un des Beaux-Arts », ou Cravan, poète-boxeur ou boxeur-poète. C’est une vision du monde pessimiste et sans illusion, ironique et absurde que partagent, au fond, ces trois personnages qu’on aurait oublié sans le culte que leur vouèrent Breton et les surréalistes.

Un spectacle ovni, étrange et déconcertant que Ribes construit à sa façon, à gros traits burlesques – et ça marche plutôt bien !

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