Noémie de Lattre est une femme brillante, intelligente et drôle. Et, bien qu’humoriste, elle mène un combat très sérieux – dans ce nouveau spectacle en tous cas – : faire valoir les droits de la moitié de l’humanité, comme l’indique le titre de son essai, Un homme sur deux est une femme. Ça fait bien longtemps qu’elle écrit et joue des comédies et des one-woman-show, où elle apparaît comme une comédienne sensible, inventive et pleine d’autodérision. Déployant ici un éventail de jeu très ample et des connaissances approfondies sur son sujet, elle assène ses arguments sans pesanteur, même si les flèches sont affûtées et touchent juste.
La cause des femmes n’est pas à la mode, regrette-t-elle en exagérant un peu, c’est ringard et ça n’intéresse personne, alors que l’antiracisme ou l’écologie sont vendeurs. Elle s’y attelle donc à bras le corps, avec un investissement physique complet dont témoignent un passage d’effeuillage burlesque et des intermèdes en forme de gingles à la Beyonce, tout comme d’autres relèvent des duels de booty shake. Fière d’exprimer ses désirs et de dévoiler une paire de seins refaits, elle aime les hommes mais surtout les hommes féministes, évidemment plus beaux, sexys et intelligents que les autres. Des hommes qui n’ont pas renoncé à leur virilité, faut-il le préciser…
Présente sur scène dès l’ouverture de la salle (un dispositif bien dans l’air du temps), la comédienne fait passer une tablette de Coculine aux spectateurs qui auraient le mal de mer. La mise à distance se lit dès l’affiche qui mentionne « 32 metteur(e)s en scène, 4 assistants, 3 chorégraphes, 2 experts lumière, une costumière et une impressaria ». Et chaque fois, un artiste invité arrive au milieu du show, ce soir-là Jeremy James, le « Billy Eliott de l’humour », qui raconte son penchant extraterrestre pour la danse (oui, car c’est un garçon !) avec des accents dignes du « Billy Eliott du 93 ».
Noémie de Lattre disserte avec brio de la condition féminine actuelle, sans faire d’impasse, dans une prose gracile et enlevée. Tout est évoqué avec finesse et souvent par l’absurde, le langage épicène ou la journée de la Femme (existe-t-il une journée du Noir ?), sauf lors d’un passage poignant où elle résume en une longue envolée la violence butée et auto-satisfaite du harcèlement de rue ordinaire. Sans oublier cette liste quasi exhaustive des pays du monde où les femmes sont opprimées.
Un seule réserve : à de rares moments, tout en voulant déjouer les stéréotypes de genre, la comédienne y recourt un peu malgré elle en s’adressant au public sur le mode « vous les mecs et nous les meufs ». Cette interpellation a beau être un passage obligé du stand-up, la démonstration gagnerait sans doute en légitimité à la contourner ou à la dépasser…
Nul doute que ce spectacle heurte une poignée de mâles sûrs de leurs droits et quelques femmes intériorisant le machisme ambiant. Mais ceux-là sont prévenus par l’affiche. Et ils n’auraient pas tort de s’y risquer. Au fond, Noémie De Lattre met en lumière les signes plus ou moins perceptibles de la domination masculine, tout comme le fit toute sa vie, dans un autre registre, Françoise Héritier dont on mesure aujourd’hui l’héritage.
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